Le Blockhaus d'Eperlecques
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En mémoire de René MOUCHOTTE, commandant du squadron 341 "Alsace", mort au Champ d'Honneur le 27 août 1943 au-dessus d'Eperlecques, alors qu'il était en mission d'accompagnement des bombardiers venus bombarder ces lieux. |
Les opérations de bombardements sur Eperlecques
Ce bunker n'est pas un site de lancement de bombes volantes V1 mais une usine de fabrication d'oxygène liquide pour les fusées A4 plus connues sous l'appellation V2 (Vergeltungswaffe 2). Il devait également servir pour leur stockage et leur lancement. On peut également y voir une rampe de lancement V1 avec sa bombe en phase de décollage. Ainsi, le visiteur pourra prendre la juste mesure de la folie meurtrière du IIIème REICH. Dans mes projets, il n'était pas dans mon intention de parler des fusées A4 mais uniquement de tout ce qui touche de près à Jean MARIDOR, c'est à dire les V1. Aussi, et vu la présence d'une rampe de lancement de V1 sur ce site et notamment la structure colossale mise en place par les nazis pour anéantir l'Angleterre, j'ai pensé qu'il serait utile pour le devoir de mémoire de consacrer une page à cette construction hors norme qui, au bout du compte, n'a heureusement jamais servie de base de lancement.
Situé dans le département du Pas-de Calais, le blockhaus a été construit à la lisière de la forêt d'Eperlecques. Il a été choisi par l'Oberstleutnant THOM. La décision a été prise suite à un ordre de HITLER à la réunion du 22 décembre 1942 à 11h45, au Ministère de l'Armement à Berlin, entre le Ministre Albert SPEER et le général Walter DORNBERGER. Ce dernier préférait cependant des installations de tirs légères et mobiles aux bunkers à partir desquels peu de tirs pouvaient être effectués en cas de supériorité aérienne de l'ennemi. Mais le Führer trancha tout de même en faveur de ces derniers. Le projet prévoyait que le stockage des fusées A4 (V2) devait correspondre à trois jours de tirs soit 108 fusées. L'usine devait produire l'oxygène liquide nécessaire à l'approvisionnement des fusées. Celui-ci était fabriqué à partir de 5 compresseurs HEYLAND, d'une production unitaire de 540 kg par heure, soit une production journalière de quelques 64 tonnes. Les charges explosives devaient également être stockées sur place. L'ensemble de l'installation devait être mise en oeuvre par 322 hommes dont le logement avait été prévu sur place.
La construction démarra fin mars 1943 par le creusement des énormes fondations par l'entreprise Philipp HOLZMANN AG et devait être achevée le 1er novembre 1943. Les allemands avaient emmené une main-d'oeuvre bon marché constituée de milliers de prisonniers de toutes nationalités, parmi lesquels un grand nombre de déportés belges et flamands. Beaucoup d'entre eux étaient astreints au travail obligatoire. Le matériel était acheminé sur place par des wagons et des petites locomotives à vapeur circulant sur des voies métriques. Ils disposaient de pompes à béton dont les tuyaux en acier étaient disposés en araignée alimentant l'ensemble du chantier. En quelques mois, les travaux avançaient très rapidement. Pendant un certain moment, Londres semblait ignorer la nature de cette construction qui passait pour être une usine électrique. Il faut dire de surcroît qu'on ne croyait guère à cette époque aux armes secrètes du IIIème Reich. Mais bien vite, on devait se rendre à l'évidence et le bombardement du site fut décidé. Afin de se mettre à l'abri de ces derniers, on utilisa une technique révolutionnaire pour l'époque imaginée par un ingénieur, Monsieur FLOSS. Celle-ci consistait à couler tout d'abord la dalle du haut, de 5 mètres d'épaisseur, sur les installations déjà existantes puis de la soulever à l'aide de vérins hydrauliques. On pouvait alors construire les murs tout autour à l'abri des bombardements. Une fois les murs en place, on souleva à nouveau la dalle avec les vérins puis on construisit une autre rangée de murs sur ceux déjà mis en place précédemment et ainsi de suite jusqu'à atteindre une hauteur totale de 28 mètres. L'ensemble de l'ouvrage a nécessité quelques 160.000 m3 de béton.
Un rapport du 10 mars 1943, du général DORNBERGER, prévoyait qu'une future Fusée A10, d'une portée de 4.500 kms, devait être capable d'atteindre les Etats-Unis en 30 minutes. Mais bien vite, les allemands s'aperçurent que le système qu'ils avaient imaginé pour tirer les V2 sur l'Angleterre était particulièrement vulnérable devant les nombreux bombardements alliés sur ces constructions spéciales qui firent, somme toute, des dégâts assez limités en regard des tonnes de bombes lâchées sur le site dont les alentours avaient l'aspect d'un paysage lunaire. Par contre, on estime qu'un grand nombre de prisonniers ont perdu leur pauvre vie ou furent blessés lors des raids alliés. Mais il est très difficile de citer un chiffre exact des victimes. Il fut alors décidé d'enterrer ces usines et ces sites de lancement à l'abri sous terre. Et c'est ainsi que l'on transféra le projet d'Eperlecques dans une ancienne carrière de calcaire à Wizernes (La Coupole). Eperlecques appelé jusque là KNW (Kraftwerk Nord West) est dénommé à partir de ce moment là KNW Alt (vieux). Il était cependant acquis que le blockhaus devait continuer de servir comme usine de fabrication d'oxygène qui devait approvisionner La Coupole. A la suite du bombardement du 19 juin, l'onde de choc de l'explosion d'une bombe "Tallboy" (grand garçon) de 6 tonnes tombée à quelques 27 mètres de la façade Sud provoqua un cratère d'environ 30 m de diamètre et engendra de tels ébranlements et vibrations aux fondations des groupes compresseurs que la décision fut prise le 27 juin 1944 de les démonter et de les évacuer. Lors du bombardement du 25 juillet 1944, une bombe "Tallboy" tombe sur le haut de la façade Nord provoquant un cratère dont on peut estimer la profondeur à environ 2,70 m, ainsi qu'un léger déplacement de la structure métallique comme on peut le voir à l'intérieur de l"édifice. Ainsi, lorsque les lieux furent libérés par les troupes britanniques le 6 septembre 1944, les coffrages étaient encore en place et la réparation était déjà très avancée. Il faut également dire que HITLER tenait beaucoup à tous ces bunkers dont on continuait finalement la construction, même si la plupart ne devaient jamais servir, simplement pour ne pas décevoir le Führer. Ce dernier avait d'ailleurs donné l'ordre de continuer la construction du blockhaus d'Eperlecques à titre de leurre.
Aujourd'hui, le visiteur pourra découvrir ce site particulièrement impressionnant. Un grand parking a été aménagé dans la forêt et on accède au site par un chemin ombragé. Le circuit emprunté, qui est très bien matérialisé, est jalonné de bornes sonorisées en plusieurs langues à partir desquelles on pourra entendre sur des haut-parleurs les commentaires explicatifs avec des documents sonores et des bruitages. On pourra ainsi prendre connaissance de l'histoire qui s'est déroulée en ces lieux voici 60 ans. Les structures en béton à l'arrière du bunker qui jouxtent la façade Nord n'ont pas été terminées, comme le stockage des V2. Elles ont relativement souffert des bombardements. Bien qu'il est très difficile d'y accéder puisque l'ensemble est inondé d'eau, on peut néanmoins parfaitement voir les pièces de stockage à partir du chemin aménagé à quelques mètres, à l'endroit même où devait se trouver la voie ferrée n°1. En face, sur la façade Nord au-dessus du blockhaus, on peut voir l'impact causé par la bombe "tallboy". Un peu plus loin, sur les flancs boisés de la colline, se trouvent des sacs de ciments fossilisés, restés à cet endroit comme si la vie s'était arrêtée brusquement. L'entrée du blockhaus s'effectue dans la façade Ouest, à côté de ce qui devait être la voie ferrée desservant l'unité d'oxygène liquide. On peut observer l'imposante porte coulissante en acier mue par un moteur électrique que l'on peut mettre en fonctionnement à partir d'un interrupteur placé à l'entrée. On est immédiatement impressionné par la hauteur de l'édifice. A l'intérieur, il ne reste plus de machines. La salle où était installée l'usine d'oxygène liquide sert aujourd'hui en quelque sorte de salle de cinéma rudimentaire dans laquelle est projeté un documentaire. Un peu plus loin, dans la pénombre, on aperçoit l'un des vérins ayant servi à soulever la dalle du haut, de 5 mètres d'épaisseur.
A l'extérieur du bunker a été installée une rampe de lancement avec un V1 en phase de décollage. Tout à coté, en face de la façade Sud sur laquelle on peut observer un impact d'une bombe américaine de 4500 livres, on pourra voir l'énorme trou d'environ 30 mètres de diamètre causé par une bombe "tallboy" dans lequel a pris place un étang.
Bibliographie :
- "Constructions spéciales" de Roland HAUTEFEUILLE - "Mission sans retour" de Myrone N. CUICH - Sources diverses |